Le choc opératoire peut-il être atténué?

09/12/2006
Article

Au 28e Congrès de l'European Society for Clinical Nutrition and Metabolism (ESPEN, Istanbul 19 -22 octobre 2006), il fut beaucoup question de la problématique du métabolisme énergétique et du jeûne chez le patient opéré. L' « Arvid Wretlind Lecture », l'un des événements de prestige du congrès, fut consacrée à ce thème par le Pr Olle Ljunqvist (Suède). Pour cet éminent scientifique, il ne fait pas de doute que le jeune pré-opératoire est nuisible à la bonne récupération physique et physiologique du patient. Or ce jeûne est imposé par les anesthésistes afin de ne pas risquer, lorsque le patient est sous narcose, de fausses déglutitions qui lui seraient extrêmement nuisibles. Mais tous les intervenants au congrès n'aboutissaient pas à des conclusions semblables et quelques réticences persistent, même si la tendance générale va dans le sens défendu par Ljunqvist. C'est dire qu'il faudra sans doute encore investiguer davantage sur le type de patients que cela concerne, dans quelles circonstances ont peut leur apporter de cette manière un bénéfice, quelle est la procédure optimale et de quel bénéfice il s'agit.

Les méfaits du jeûne

La lecture du Pr Ljunqvist concernait pour sa part les patients ayant subi une chirurgie majeure. On sait que les patients connaissent en phase post-opératoire une activité catabolique intense d'abord, suivie par une période où préside l'anabolisme. Or, parmi toutes les hormones mises en jeu au cours de ces réactions, l'hormone anabolisante majeure est l'insuline. Mais d'autres sont stimulées également par l'intervention, qui constitue un stress et une cause de douleurs. Bref, on conviendra sans difficulté que le contrôle métabolique constitue un élément déterminant du retour à un état non douloureux, la récupération de la mobilité et la reprise des fonctions intestinales, le tout en l'absence de complications. Les premiers travaux sur l'influence de la glycémie au cours de la période péri-opératoire concernent l'hémorragie. Une hyperglycémie entraîne une augmentation de l'osmolarité plasmatique, avec attrait des liquides intracellulaires vers les espaces extracellulaires. Par contre, le jeune de 24h (souvent moins chez nous), imposé en routine aux patients avant une intervention, abaisse la glycémie et l'appel de liquide vers le plasma ne se fait pas. En cas d'hémorragie, la réserve liquidienne du sang est donc moindre, toute proportion gardée. Si la perte sanguine est sévère, il a été montré qu'il faut plus de sang pour la compenser en cas de jeune qu'en l'absence de celui-ci. Dans des situations de stress majeur, le jeûne peut donc être nuisible.

 

Les dangers de l'hyperglycémie

Faut-il pour autant rechercher l'hyperglycémie ? Non. Une comparaison du métabolisme du patient en choc opératoire avec celui du patient atteint de diabète de type 2 montre la grande similitude qui unit ces deux situations : hyperglycémie, baisse de la sensibilité à l'insuline, augmentation de la production de glucose, diminution de sa captation tissulaire... On sait notamment que la sensibilité à l'insuline diminue d'autant plus que le geste chirurgical est plus entreprenant. La chute de sensibilité est rapide et suivie d'une normalisation qui n'est, elle, que progressive. L'importance de cette résistance et la lenteur de sa normalisation sont des facteurs prédictifs parmi d'autres de la durée de l'hospitalisation. Elle est doublée d'une libération massive de glucose en réponse au stress imposé par l'intervention et notamment par la douleur qu'elle génère. Ces deux facteurs (résistance à l'insuline et stress libérateur de glucose) entraînent une hyperglycémie. Il est démontré que celle-ci augmente le risque de complications chez le sujet non diabétique comme chez le diabétique. Elle altère la fonction immunitaire et favorise le stress oxydatif. Une nuance peut toutefois être apportée à ce tableau peu reluisant : il existe des variations individuelles dans l'importance de ces réactions.

Le juste milieu

Comment, dès lors, concilier l'intérêt relatif d'une bonne réserve énergétique et le souci d'éviter les dangers de l'hyperglycémie ? Pour Ljunqvist, le jeune pré-opératoire n'est pas une bonne chose. Il propose au contraire de réaliser chez le patient une charge pré-opératoire en glucides. Selon les études, cette manoeuvre augmente la sensibilité à l'insuline, diminue la production endogène de glucose et accroît la captation tissulaire de ce dernier. En même temps, la pratique de l'analgésie épidurale évite la douleur et les perturbations métaboliques qui s'ensuivent. Ces réflexions méritent d'être mises à l'épreuve des essais cliniques. Les bases rationnelles existent pour cela et des tentatives ont déjà eu lieu. Sans doute les concepts concernant la préparation du patient à une intervention chirurgicale et son suivi en phase post-opératoire sont-ils en passe d'être complètement bouleversés. Il existe encore des aspects pour lesquels aucun avantage d'une telle démarche n'a pu être mis en évidence. C'est le cas par exemple des nausées et vomissements, de l'anxiété et de la durée du séjour, selon une étude de Bulus et al. (Turquie). Il faudra donc sans doute rechercher quels sont les paramètres qui sont éventuellement modifiés par une charge pré-opératoire en glucose et s'efforcer de déterminer quel est l'impact de ces paramètres sur le devenir du patient. Bref, il faudra trouver un juste milieu.

Les indices s'accumulent 

En attendant, les études se poursuivent. Sungurtekin et al. (Turquie) ont étudié d'autres aspects et ont conclu, au terme d'une étude réalisée chez une trentaine de patients, que l'approvisionnement pré-opératoire en glucides permettait d'obtenir une meilleure régulation des taux post-opératoires de leucocytes, de CRP, de TNF-alpha circulant et d'IL-6. Ces résultats évoquent une réponse inflammatoire moins intense à l'agression chirurgicale. De leur côté, Plank et al. (Nouvelle Zélande) se sont risqués à tenter un essai chez 142 patients, dont 73 ont reçu, après randomisation, une charge pré-opératoire en glucides, tandis que les 69 autres étaient placés sous placebo. Tous devaient subir une intervention chirurgicale abdominale majeure. Le taux de cortisol de ces personnes un jour après leur intervention était plus bas chez les patients ayant reçu des glucides, ce qui suggère un état de stress moins élevé. L'indice de résistance à l'insuline n'était par contre pas différent entre les deux groupes. Le score de fatigue, évalué de manière subjective par le patient, était plus bas aux jours 3 et 5 chez les personnes qui avaient reçu cette charge pré-opératoire en glucides.

 

Qu'est-ce que la clinique? 

Chez les mêmes patients, le nombre d'infections post-opératoires, pour des interventions similaires, était plus faible également. Mais les auteurs ajoutent quand même que sur le plan clinique, ils n'ont noté aucune différence. Oublieraient-ils que la fatigue et les infections post-opératoires sont des éléments cliniques ?

 

Dr. Jean Andris



Références : Bulus H et al. Effect of preoperative oral intake of carbohydrate drink on post-operative nausea-vomiting, anxiety and lengt of stay in patient undergoing thyroidectomy : a prospective randomized double-blind study. 28th Espen Congress. (Istambul 19-22/10/2006) Abstract book p 27 (abstract P0001) Lundqvist Arvid Wretlind lecture. Metabolism and recovery after surgery. 28th Espen Congress. Istambul 19-22/10/2006. (Pas d'abstract). Plank LD et al. Pre-opérative carbohydrate loading in partients undergoing major abdominal surgery : results of a double-blind randomised controlled trial. 28th Espen Congress (Istambul 19-22/10/2006) Abstract book p 19 (abstract 0044) Sungurtekin H. et al. Influence of preoperative oral carbohydrate administration on inflammatory and cytokine response in patients undergoiong major abdomùinalo surgery. 28th Espen Congress (Istambul 19-22/10/2006) Abstract book p 27 (abstract P0002). 




Recherche


Dernières publications


Livres


Inscription à notre newsletter