Obésité : la folie des grandeurs en cause

13/09/2003
Article

Leptine, ghréline, insuline, CCK, PYY… les nombreuses hormones ou neuropeptides impliqués dans la régulation du poids corporel tissent une toile extrêmement complexe dont la connaissance devrait aider à mieux comprendre, voire traiter, l’obésité. Ces voyages métaboliques au cœur des systèmes de régulation interne sont certes enrichissants, mais ils n’ont pas, jusqu’à présent, permis de percer le mystère de l’obésité et d’expliquer un de ses paradoxes : les Français sont friands de denrées grasses, les Américains sont plus portés sur les aliments allégés. Et pourtant, les premiers sont sensiblement plus minces que les seconds (BMI moyen des adultes français = 24,4, contre 26,6 pour les adultes américains). 
C’est précisément pour tenter d’expliquer cette différence que le psychologue Paul Rozin (Université de Pennsylvanie, Philadelphie), le sociologue Claude Fischler (CNRS, Paris) et leurs collègues ont mené une étude transatlantique portant sur le paysage des portions dans deux grandes villes : Philadelphie et Paris (1).


Manger à la carte

L’équipe franco-américaine s’est d’abord intéressée au poids des portions servies au restaurant, incluant fast-food, pizzeria, glaciers, bistros locaux et restaurants ethniques. Sur les 36 paires de plats et boissons pesées, 26 ont un poids significativement inférieur à Paris. En moyenne, le poids de la portion est 25 % plus élevé à Philadelphie que dans la Ville Lumière. Des différences apparaissent aussi au sein d’une chaîne de fast-food : si le poids du hamburger et des " chicken nuggets " est comparable, les portions de frites ainsi que les sodas sont plus grands de l’autre côté de l’Atlantique.

Quelques différences de portions relevées dans les rayons
(A Philadelphie, en % par rapport à Paris)
Barre céréalière
0
Plat de lasagne
+ 19
4 bananes
+ 23
4 oranges
+ 42
Coca-cola
+ 52
Hot dog
+ 63
Yaourt
+ 82
Plat de cannelloni
+ 93
Cheeseburger pour micro-onde
+ 240

Suivez le guide !

Pour compléter leurs investigations sur les restaurants, les auteurs ont dépouillé le guide Zagat (édition 2000) consacré à Paris (891 restaurants) et celui portant sur Philadelphie (637 restaurants). L’analyse rapporte que l’on fait trois fois plus souvent référence à la taille des portions dans l’ouvrage américain. Ces références mettent en avant des grandes portions dans 88 % pour Philadelphie, contre 52 % des cas pour Paris. Les auteurs relèvent aussi que les formules de " buffet à volonté " sont plus fréquentes outre-Atlantique.

L’équipe a procédé ensuite à la comparaison de deux livres de cuisine, un français et un américain. Ils relèvent que les recettes comparables à base de viande sont en moyenne 53 % plus copieuses Outre-Atlantique, alors que celles à base de légumes contiennent près de 25 % de végétaux en moins.

Dans les rayons aussi

L’équipe a encore comparé une série d’aliments proposés en portions individuelles dans une grande surface française et une autre, américaine. Dans 14 cas sur 17, les portions d’aliments s’avèrent plus importantes au pays de l’Oncle Sam (en moyenne 37 % de plus). Enfin, les auteurs ont estimé le temps consacré au repas dans un restaurant Mc Donald’s à Paris et dans un autre à Philadelphie. Compte tenu des différences déjà observées dans la taille des portions, ont pourrait s’attendre à ce que le temps du repas soit plus long aux Etats-Unis. Il n’en est rien : celui-ci est en moyenne de 22,2 minutes à Paris, contre seulement 14,4 minutes à Philadelphie !

Le “light” aussi lourd

Le choix d’aliments allégés en graisses conduirait-il à augmenter la taille des portions ? C’est ce que suggère une étude effectuée au Danemark et montrant que les sujets mangent et boivent significativement plus lorsqu’ils choisissent des aliments et des repas en version pauvres en graisses (3). Résultat : les quantités d’énergie et de lipides réellement ingérés sont pratiquement les mêmes, à l’exception des charcuteries tranchées et du lait. Comme pour les Etats-Unis, les auteurs relèvent que la taille des portions des aliments et boissons de densité énergétique élevée, des repas " fast-food " riches en graisses et/ou en sucres ajoutés, a augmenté, particulièrement au cours de ces 10 dernières années. Cette augmentation va de pair avec un accroissement de 50 % des ventes de boisson sucrées et autres douceurs telles que sucreries, chocolats et crème glacée.

Portion à la hausse

La piste de la taille des portions semble aussi contribuer à expliquer pourquoi l’obésité a connu une progression fulgurante aux Etats-Unis lors du dernier quart de siècle. Sur base des données de consommation recueillies entre 1977 et 1998 auprès de plus de 60 000 personnes, des chercheurs ont déterminé l’évolution de la taille des portions d’aliments (2). Les snacks voient leur contenu calorique moyen augmenter de 93 kcal, les limonades de 49 kcal, les hamburgers de 97 kcal et la portion de frites de 68 kcal. Les snacks occupent une place de plus en plus grande : leur contribution à l’apport énergétique total est passée de 11,3% en 1977 à 17,7 % en 1996, soit une majoration de plus de 60 %.

L’ensemble de ces données suggère que la taille plus petite des portions et le temps plus important consacré au repas contribuent à expliquer les différences de la prévalence de l’obésité entre ces deux pays : même avec une alimentation " riche ", les Français mangent tout simplement moins que les Américains. A l’avenir, le traitement de l’obésité ne devrait probablement pas porter uniquement sur les tentatives visant à changer l’individu, mais aussi tenir compte de l’environnement. Et redonner notamment à l’acte de manger toutes ses lettres de noblesse. Small is beautiful!

Nicolas Guggenbühl
Diététicien Nutritionniste

Réf: 
(1) Rozin P et al. The Ecology Of Eating: Smaller Portion Sizes in France Than in the United States Help Explain the French Paradox. Psychological Science 2003;14(5):450-454. 
(2) Nielsen SJ et al. Patterns and trends in food portion size, 1977-1998. JAMA 2003;289(4)/450-3. 
(3) Matthiessen J et al. Size makes a difference. Public Health Nutr 2003;6(1):65-72. 




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