Une nouvelle étoffe pour les fibres

13/09/2001
Article

Des fibres, tout le monde sait que c’est bon pour la santé, même si l’on ne sait pas toujours exactement à quoi ça sert et encore moins de quels composés il s’agit. A défaut d’une définition universellement acceptée, on peut considérer que cette famille regroupe l’ensemble des oligo- et polysaccharides qui ne peuvent pas être décomposés en nutriments absorbables par les enzymes du tractus digestif supérieur de l’être humain, ceci incluant la lignine. Certains préférent limiter les membres de cette famille aux seuls constituants des parois cellulaires de végétaux, une frontière qui ne se justifie cependant pas si l’on accorde la priorité aux effets physiologiques.

Grandeur et décadence

Les fibres sont, après les vitamines, le terme alimentaire véhiculant une image positive le plus plébiscité. Il n’y a qu’à se pencher sur l’étiquetage des denrées pour voir à quel point la présence de fibres est mise en évidence. Certes, elles facilitent le transit intestinal et s’avèrent d’un précieux recours en cas de constipation. Mais leur intérêt ne s’arrête pas là, au point que les plus optimistes voient en elles une réponse à bon nombre d’affections dites de civilisation. Les fibres ne constituent cependant pas la panacée universelle. Il n’y a pas si longtemps, une étude montrait que l’administration de suppléments de son de blé n’avait pas l’effet escompté auprès de patients atteints d’adénomes récurrents dans le côlon et le rectum (1). Si la déception était certes grande, les retombées médiatiques se sont avérées énormes car l’information a été mal interprétée, clouant sur place l’éventuel effet protecteur des fibres dans le cancer colique (Cf. Health and Food n° 42).

Alchimie colique

Mais en marge de ces résultats décevants au regard des attentes, le pipe-line de la recherche nutritionnelle sur les fibres regorge de données encourageantes. Outre leurs effets purement mécaniques sur le transit intestinal, les fibres induisent une meilleure satiation (arrêt de la prise alimentaire) et satiété (état de non-faim maintenu plus ou moins longtemps après le repas), ce qui les rend susceptibles de jouer un rôle dans la prévention de l’obésité. Mais s’il est bien un terrain fertile dans la recherche, c’est celui du devenir des fibres fermentescibles (essentiellement les fibres dites solubles) dans le côlon et de leurs effets systémiques. Cette alchimie colique pourrait bien conduire, via la production d’acides gras à courte chaîne tels que le butyrate, à exercer un effet protecteur contre les néoplasmes du gros intestin. Parmi les effets systémiques, les travaux menés chez le rat « Zucker », génétiquement obèse, montrent que certaines fibres (les fructanes) peuvent diminuer la synthèse hépatique de triglycérides et réduire le poids corporel (2).

Les fruits de la fermentation

Les recherches vont bon train pour développer des produits riches en certaines fibres bien particulières. Elles se focalisent sur les fibres prises séparément, ce qui est loin du contexte alimentaire, mais aussi de plus en plus sur les associations (et ce ne sont pas les possibilités qui manquent !) : fructanes, amidons résistants, pectines, mucilages d’ispaghul, alginates… sont passés au crible dans leur forme native mais aussi après diverses modifications permettant d’agir sur la cinétique de fermentation dans le côlon.

Ainsi, l’amidon ayant subi la rétrogradation est plus rapidement dégradé par la flore fécale que l’amidon en granules, dont le profil de fermentation est plus linéaire (3). Ou encore, la combinaison d’ispaghul et de fructanes permet de ralentir leur taux de fermentation (4). Quel intérêt peut-on y trouver ? Un meilleur confort digestif et surtout, le déplacement des sites de fermentation vers le côlon distal, c’est-à-dire à l’endroit où les tumeurs du côlon se retrouvent le plus fréquemment.

Parmi les autres voies novatrices figure la modification de la biodisponiblité de certains nutriments ayant échappé à la digestion dans le grêle (i.e. calcium, magnésium…) ou d’autres qui sont synthétisés par la microflore (vitamines du groupe B, Cf. encadré). Le changement mérite d’être souligné : il n’y a pas si longtemps, les fibres n’étaient perçues que comme des composés pouvant diminuer la biodisponiblité (par exemple via la chélation de cations bivalents tels le fer, le calcium et le magnésium par l’acide phytique présent dans le son de blé). A présent, les fibres pourraient offrir une deuxième chance à l’assimilation de certains nutriments.

Une usine dans le ventre

La microflore qui œuvre dans notre côlon produit toute une série de vitamines. Toutefois, à l’exception de la vitamine K, on considère habituellement que cette production ne contribue pas de façon significative au statut vitaminique, compte tenu de la capacité très limitée qu’ont ces vitamines à franchir la barrière colique. Mais les choses pourraient bien changer. Des chercheurs de Nouvelle Zélande ont montré, chez le rat, que certaines fibres solubles sont capables d’influencer le statut en vitamine B9 (6). Leurs travaux montrent que l’administration de pectine d’agrume ou de fructo-oligosaccharides au rat entraîne une augmentation significative des taux de folate plasmatique, respectivement de 103 % et 65 %. De plus, pour la pectine d’agrume, les auteurs ont observé une augmentation du niveau de folate dans les globules rouges (21 %) ainsi qu’une réduction de 43 % de l’homocystéine plasmatique. De ce constat naît une nouvelle hypothèse de mécanisme protecteur pour les fibres et encore un argument en faveur du rôle des végétaux, des agrumes en particulier, pour la santé du cœur et des artères.

N.G.

Du laboratoire à l’assiette

Il faudra certes encore du temps avant que ces nouvelles étoffes de fibres combinées apportent, sur la base d’études humaines, la preuve de leur efficacité préventive voire curative. Par contre, du temps, il n’en faut plus pour se convaincre de l’importance d’une alimentation qui soit riche en fibres et globalement équilibrée.

Dans une analyse récente des données de la Nurse Health Study (près de 70 000 femmes adultes suivies pendant 12 ans), les auteurs ont comparé deux profils alimentaires : la “prudent diet”, riche en fruits, légumes, légumineuses, poisson, volaille et céréales complètes et la “Western diet”, comportant beaucoup de viandes rouges et de viandes transformées, de sucreries et de desserts, de frites et de céréales raffinées. L’analyse des résultats montre que pour celles suivant la “Prudent diet”, le risque relatif de maladie coronarienne est de 0,76 (IC 95 %), par rapport à celles de l’autre groupe (5).

Les mécanismes protecteurs d’une alimentation riche en fibres restent mal compris : s’il y a bien différentes actions au niveau du tractus gastro-intestinal, les antioxydants et les phyto-oestrogènes peuvent aussi apporter leur coup de pouce. Car n’oublions pas qu’outre les fibres, les céréales complètes apportent des vitamines du groupe B, de la vitamine E, du sélénium, du zinc, du cuivre, du magnésium et des composés phénoliques, autant de nutriments qui tombent à point pour relever la qualité nutritionnelle de l’assiette de l’”Homo modernicus” en quête de performances et de longévité.

Nicolas Guggenbühl 
Diététicien Nutritionniste

Références 
(1) Alberts DS et al. N Engl J Med 2000;342(16):1156-1162 
(2) Daubioul CA et al. Poster* 
(3) Arrigoni E et al. Poster* 
(4) Khan MF et al. Poster* 
(5) Fung TT et al. Arch Intern Med 2001;13 ;161(15):1857-1862 
(6) Thoma C et al. Poster*

*Poster présenté au 17e Congrès International de Nutrition à Vienne, 27-31 août 2001




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