L'alimentation méditerranéenne : utopie scientifique, réalité marketing

10/04/2002
Article

Voilà un demi-siècle que l'alimentation méditerranéenne fait l'objet d'une attention particulière de la part des scientifiques. Les études ne manquent pas pour prêter à ce mode alimentaire des vertus préventives, d'abord dans le domaine cardiovasculaire, mais aussi face à certains cancers, au diabète de type 2, même au vieillissement. Les données sont consistantes au point d'en faire une référence pour rencontrer les objectifs nutritionnels. Mais la science ne doit pas rester dans sa tour d'ivoire et il est un autre constat : l'alimentation méditerranéenne traditionnelle, celle dont on vante désormais les vertus aux quatre coins du globe, est en voie de disparition…

Nouvelle génération

On est bien loin du mode de vie – y compris de l'alimentation et de l'activité physique – du paysan crétois des années soixante. La culture du « fast-food » n'a pas épargné les régions où poussent les oliviers. La combinaison viande grasse + frites fait recette dans toute la Grèce, les crèmes glacées trônent en Italie… Comme en témoigne une étude effectuée au Portugal et une autre menée en Espagne, la vie en ville et l'augmentation du statut socio-économique apparaissent comme les principaux acteurs de l'abandon de l'alimentation traditionnelle (1, 2). 
Dans les pays du Nord de l'Europe, l'alimentation méditerranéenne fait une carrière brillante, tout du moins en apparence. Car elle est plus facile à vendre qu'à adopter. Les produits arborant la touche méditerranéenne se multiplient dans les rayons : si certains, comme des mélanges de céréales et légumineuses ou de la soupe froide de légumes, sortent effectivement en droite ligne de ce modèle ancestral, d'autres n'ont de méditerranéen que l'emballage. Ainsi, après les margarines et même des beurres à l'huile d'olive, se déclinent des chips et autres snacks qui, derrière un superbe emballage aux couleurs chaudes arborant bien entendu « à l'huile d'olive », cachent des produits gras et salés sans le moindre intérêt nutritionnel. A l'inverse, des produits de base que sont les légumes et les fruits ne bénéficient pas de la moindre impulsion méditerranéenne.

La culture perd ses racines

Une étude récente effectuée auprès d'étudiants grecs qui migrent vers Glasgow (3) est révélatrice : les étudiants mangent, après 6 mois, moins de végétaux frais, de poisson, de légumineuses et plus de biscuits, de snacks, de boissons sucrées et/ou alcoolisées, de mayonnaise et autres sauces. La consommation moyenne de fruits et de légumes de ces étudiants est passée de 363 g en Grèce à 124 g à Glasgow. Les principaux facteurs identifiés pour expliquer ce comportement sont le prix plus élevé ainsi qu'une qualité et une disponibilité inférieures pour les produits frais. Et comme l'ont montré les études de migration de Japonais vers les Etats-Unis, ce type d'occidentalisation a des conséquences mesurables sur l'incidence des pathologies cardiovasculaires (notamment). 
L'adoption d'une alimentation méditerranéenne où les végétaux occupent une place de choix suppose des produits de qualité. Or, bien souvent, c'est le calendrier qui prime pour présenter les végétaux le plus tôt dans l'année et le plus longtemps. Combien de tomates sont à la fois rouges et savoureuses, de poires ou de pêches à maturité ? Cela n'aide pas à l'adoption des principes d'une alimentation méditerranéenne, qui risque de se réduire de plus en plus à des produits industrialisés dont le « label » méditerranéen fait oublier leur place dans l'équilibre, tout en donnant bonne conscience.

Nicolas Guggenbühl

(1) Rodrigues SS, de Almeida MD. Public Health Nutr 2001;4(5B):1167-71 
(2) Aranceta J. Public Health Nutr 2001;4(6A):1399-402. 
(3) Papadaki A, Scott JA. Eur J Clin Nutr 2002;56(5):455-67.




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